Désertification médicale : mon courrier à Emmanuel Macron

Plus de 21 000 Ardéchois(es) n’ont pas de médecin traitant. Pas un village n’est épargné par un départ sans remplaçant annoncé.

Pendant 5 ans, j’ai déposé avec mes collègues Députés des propositions de loi contre les déserts médicaux, interpellé le Gouvernement, alerté l’ARS, dénoncé des situations alarmantes. Aujourd’hui, je m’adresse au Président de la République dans cet ultime courrier que je publie ici. Et si cette supplique des Ardéchois pour que revienne le médecin de famille demeure lettre-morte, il n’en demeure pas moins que ça fait du bien de le dire et de l’écrire.

Bonne lecture !

 

🖋 Monsieur le Président, Monsieur le Candidat,

Ce courrier sera probablement l’ultime alarme que je vous adresse. Je l’écris pour vous signifier l’immense détresse dans laquelle se trouvent plongés des villages entiers de l’Ardèche, privés de médecin ou en passe de l’être.

J’aimerais tant trouver les mots justes, à la mesure de la désespérance qui enfle partout dans mon département. C’est d’une tragédie en devenir dont je vous parle ici. Seul un grand plan national, inédit dans l’histoire de la France, pourra l’éviter.

Car voyez-vous Monsieur le Président, ce qui me préoccupe le plus, ce n’est pas seulement le départ en retraite d’un médecin non remplacé. Non, ce qui m’effraie presque, ce sont ces Ardéchois désormais résignés pour certains. Ceux qui ont intégré avec fatalité la fin d’une époque et qui ne recherchent même plus de nouveau médecin, parce qu’ils sont acquis à l’idée funeste que leur famille sera moins bien soignée que ne l’étaient leurs parents il y a 50 ans.

C’est de ce recul sans précédent dont je voudrais vous parler ; un recul si violent, qu’il porte en lui une colère sourde, celle qui nourrit les révoltes capables de tout emporter dans leur sillon, jusqu’à la République dont vous êtes le représentant suprême. 

En Ardèche, il fait bon vivre. Nous aimons le pays, si rude soit-il parfois. Nous voulons y rester, quoi qu’il en coûte. Tant pis pour les trains, les autoroutes, les grands magasins et les musées d’art contemporain. Mais l’amour du pays ne peut justifier qu’on nous impose le sacrifice de notre santé. 

En Ardèche, nous voulons y vivre, y travailler, y mourir même. On aimerait surtout y voir grandir nos enfants. Et pour ça, il nous faut des médecins.

Nous ne sommes plus seuls désormais à donner de la voix puisque de braves gens de la ville ont des yeux de Chimène pour nos vieilles bicoques ! Et ils ont racheté des maisonnettes jusque dans les Cévennes ou sur le Plateau. Seulement voilà ; pour eux, comme pour nous, pas de médecin, pas de destin.

Il y a urgence à agir, faute de quoi, la République pourrait ranger sa liberté, son égalité et sa fraternité qui chaque jour cèdent du terrain dans l’opinion. Et comment ne pas le comprendre ?

La Liberté de vivre où l’on veut en France est un mythe dès lors que certains territoires n’offrent plus les soins élémentaires dus à chaque citoyen.

L’égalité de tous devant l’accès aux soins est une fable. Chacun connaît les disparités de la honte. Il y a 20 points de différence pour le recours à l’hôpital entre les habitants des villes et ceux de la campagne. Vous qui vivez à Paris, vous avez également 2 ans d’espérance de vie en plus que nous autres Ardéchois.

La fraternité, c’est donc ce qui nous reste pour tenir debout. Mais jusqu’à quand ?

Nous sommes lassés d’attendre ce qui nous est dû. Nous ne comprenons plus les grands discours sur la qualité de vie quand la République semble avoir renoncé à prendre soin de nous. Savez-vous qu’il est plus simple de trouver un vétérinaire pour soigner le chien qu’un médecin pour soigner un parent ? Monsieur le Président, l’état des lieux est sans appel.

  • Je ne sais plus que répondre à ces 21 324 assurés ardéchois qui n’ont pas de médecin traitant à l’heure où j’écris ces lignes ;
  • Je ne compte plus les villages où le cabinet médical a baissé le rideau ;
  • Je ne regarde plus l’âge avancé de ces médecins qui restent courageusement à leur poste faute de successeur, enchaînant les consultations jusqu’à 23h ;
  • Je me désole, sans leur en vouloir, devant ceux qui suspendent le stéthoscope pour aller vers une activité salariée, avant que le burn out ne leur tombe dessus ;
  • Je ne sursaute même plus devant les pratiques de ceux, débordés, qui renouvellent des traitements par une ordonnance au format PDF ;
  • J’ai rangé au rayon des souvenirs d’enfance, les tournées à domicile du médecin de famille ;
  • Je me sens impuissant devant ces établissements pour personnes âgées qui maltraitent, faute de médecins coordonnateurs et plus généralement de personnels soignants ;
  • Je ne sais que dire à ces directeurs d’Ehpad qui pallient les absences de personnel jusqu’à prendre des gardes de nuit ;
  • Je compatis devant ces Maires qui déploient des banderoles à l’entrée du village « Urgent, cherche médecin » comme on déclenche un SOS au milieu de l’océan ;
  • Je suis envahi de honte quand une grand-mère m’écrit d’une main tremblante qu’elle a renoncé à trouver un nouveau médecin en remplacement du sien ;
  • Je me désespère de toutes vos maisons de santé. Vous préférez financer des murs plutôt que des bras, mais ces belles vitrines ne servent à rien quand elles chipent le toubib de la commune d’à côté, attiré par un loyer défiant toute concurrence ;
  • Je ne supporte plus les statistiques et les cartes que vous opposez à ceux qui ont appelé 30 médecins pour s’entendre dire invariablement par la secrétaire que « le Docteur ne prend plus de nouveaux patients ».

Et je ne vous parle pas de l’état dans lequel se trouve l’Hôpital, les urgences engorgées par ceux qui s’y réfugient faute de médecin, les opérations déprogrammées, les mercenaires de l’intérim qui ruinent les budgets, les praticiens qui ne tiennent pas le choc, ceux qui manquent dans l’organigramme et tant d’autres signaux qui devraient vous alerter.

Ce tableau que je vous dresse et qui n’a rien d’exhaustif, ne relève pas d’une vue de l’esprit. Il n’est pas l’addition d’anecdotes marginales propre à l’Ardèche. Il n’est pas le fruit de ma mauvaise humeur, d’un parti-pris politicard ou d’un syndrome pré-dépressif.         

Il est la réalité de l’état dans lequel se trouve votre pays sur le plan sanitaire Monsieur le Président. Et si vous n’êtes pas comptable des manquements de ceux qui vous ont précédé, vous êtes tenu pour responsable des solutions qui tardent à venir.

Ce n’est pourtant pas faute d’avoir déposé pendant 5 ans des propositions de loi qui semblent étonnamment vous inspirer en ce printemps. Vous les avez pourtant toutes rejetées lorsqu’avec certains de mes collègues nous les avons portées en débat à l’Assemblée Nationale. Alors je vais vous en rappeler la teneur, non sans y adjoindre une liste de propositions comme autant de pistes (non exhaustives) à explorer.

Vous n’échapperez pas à une Régulation territoriale des médecins. Il vous faudra avoir le courage de revenir sur l’absurde liberté d’installation dont jouissent les médecins libéraux. Quel est le sens d’une liberté qui autorise que tous aillent s’entasser sur la Côte d’Azur quand les trois quarts du pays souffrent de désertification médicale ? Vous devrez par un moyen ou par un autre, organiser leur répartition équilibrée sur le territoire national, c’est à dire selon les besoins réels des régions. L’aménagement du territoire, ça n’est pas seulement construire des ponts ou des routes. C’est s’assurer que partout se trouvent à sa tâche, la maîtresse, le facteur, le gendarme, le pompier et le docteur. 

Les médecins défendront jusque dans la rue leur liberté d’installation. Vous ne gagnerez qu’à une seule condition : revoir en profondeur les conditions d’exercice de la médecine libérale. Vous devez rendre du temps médical à ceux qui sont accablés de paperasse. Et parce que les principes qui structurent la médecine de ville ont bientôt 100 ans, vous devrez les réformer au profit de nouvelles conditions d’exercice qui leur accorderont le temps libre auquel ils ont droit.

Vous devrez également définir un statut social adapté à l’exercice de la médecine libérale pour les femmes qui sont totalement pénalisées alors même qu’elles sont devenues majoritaires dans la profession.

Vous devrez mettre un terme à l’absurdité du médecin référent qui lie un patient à un professionnel parfois situé à une heure de route, parce que le médecin de son propre village ne prend plus de nouveaux patients et alors même qu’il en accueille certains qui résident à 30 kilomètres de son cabinet.

Vous devrez réviser la rémunération des internes et envisager, selon le même principe, de mieux rémunérer des étudiants qui, dès la 4ème année iront seconder un médecin de campagne et seront incités à s’installer.

Vous devrez imposer des mesures transitoires de toutes natures dès lors que la réforme du numerus clausus ne produira aucun résultat avant 2030, au mieux. Créer des pool de médecins remplaçants en mobilisant plus encore des retraités, mieux favoriser la reconnaissance de médecins étrangers, donner de réelles prérogatives aux infirmiers en pratique avancée qui doivent pouvoir disposer plus facilement d’une délégation de tâches médicales, soutenir des consultations itinérantes dans les déserts sanitaires les plus touchés.

Voilà, les idées ne manquent pas. Le courage peut-être. Car il en faudra pour rétablir une situation tellement dégradée que personne n’ose penser qu’elle puisse être rétablie.

Pour l’heure, vous comprendrez que je vais avoir du mal à dire aux Ardéchois qu’il faut mettre un bulletin dans l’urne, quand la République n’est pas capable de mettre un médecin dans le village.

Je veux croire que vous aurez pris la mesure de cet appel et que le courage saura dissiper les nuages de la désespérance qui se transforment parfois en violent orage printanier.