Limitation de la vitesse : entêtement gouvernemental à vouloir agir par la contrainte ?

Voilà plusieurs mois qu’une partie de la France se divise sur une mesure arbitraire de limitation de la vitesse et que la représentation nationale est privée de ce débat puisqu’il n’y jamais eu la moindre concertation, le moindre échange de vue, sur un sujet pourtant majeur qu’est la sécurité routière. 

Retrouvez mon intervention sur les 80 Km/h à l’Assemblée Nationale où j’ai pris la parole à l’Assemblée nationale pour soutenir un projet de loi porté par les Républicains contre le 80 km/ sur les routes secondaires.

 

Intervention en séance sur la vitesse maximale autorisée sur les routes – 80 KM/H

Voilà plusieurs mois qu’une partie de la France se divise sur une mesure arbitraire de limitation de la vitesse et que la représentation nationale est privée de ce débat puisqu’il n’y jamais eu la moindre concertation, le moindre échange de vue, sur un sujet pourtant majeur qu’est la sécurité routière. 📺Retrouvez mon intervention sur les 80 Km/h

Publiée par Hervé Saulignac, Député de l'Ardèche sur Jeudi 21 juin 2018

 

« Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, voilà plusieurs mois qu’une partie de la France se divise sur une mesure arbitraire de limitation de la vitesse annoncée par le Gouvernement, avec une mise en oeuvre au 1er juillet prochain. Voilà aussi plusieurs mois que la représentation nationale est privée de ce débat, puisqu’il n’y a jamais eu la moindre concertation, le moindre échange de vues sur un sujet pourtant majeur – je veux parler de la sécurité routière et, pour dire les choses le plus simplement du monde, du nombre de morts sur les routes, qui ne peut rester au niveau où il se trouve, ce sur quoi, je crois, nous sommes tous d’accord.

Alors, permettez-moi de remercier les premiers signataires de cette proposition de loi, son rapporteur, Vincent Descoeur, Jérôme Nury et d’autres, qui rendent enfin possible ce débat, que vous avez voulu nous confisquer, madame la ministre, alors même qu’il concerne près de 30 millions de Français.

Venons-en au fait. Sur le fond, tout ou presque a été dit. Oui, la route tue. Oui, la route brise des vies et plonge des familles dans la douleur. Oui, nous avons à répondre de cette tragique réalité par des mesures nouvelles. Mais qu’il ne soit fait de mauvais procès à personne – je le dis à M. Latombe – , lorsque l’on veut contester la mesure du Gouvernement, aux motifs qu’elle est brutale, largement insuffisante si l’on veut des résultats, et inadaptée. 

Le débat sur le fond est assez vain, car oui, la limitation voulue par le Gouvernement aura certainement des effets et produira un résultat. Il ne s’agit pas ici de nier totalement l’efficacité de la mesure. D’ailleurs, celle-ci sera évaluée d’ici à deux ans. Dont acte. Mais que personne ne s’y trompe, la limitation sera alors gravée dans le marbre, puisqu’aucun Gouvernement ne reviendra dessus.

C’est sur la forme et sur le manque d’ambition que le groupe Nouvelle Gauche souhaite attirer votre attention, madame la ministre et chers collègues. Jour après jour, cette décision de limiter la vitesse à 80 kmh nourrit une rancoeur populaire que vous auriez tort de sous-estimer. Lorsque le peuple se sent incompris de ceux qui le gouvernent, ne serait-ce que sur une seule mesure, le lien de confiance s’abîme durablement.

À cet égard, lorsque le Président de la République déclare, le 12 avril dernier chez Jean-Pierre Pernaut, que le « sang s’est échauffé sur cette affaire », il démontre son incompréhension des Français, qui désapprouvent sa mesure.

Fondamentalement, si l’on veut dénicher les ressorts profonds de l’hostilité à cette décision de limiter la vitesse, c’est à la forme qu’il faut s’intéresser. La forme, c’est notamment cette façon de décider seul, au nom d’un intérêt supérieur qui serait indiscutable – c’est ce que nous a dit tout à l’heure le député du MODEM : nous n’avons pas le droit de discuter cette mesure – et avec une certaine arrogance polie que le monde rural supporte chaque jour un peu moins. Cette mesure est vécue par beaucoup comme une provocation, voire une intrusion dans leur quotidien. Elle nourrit un sentiment de ras-le-bol chez des millions de Français.

La voiture est le quotidien de six Français sur dix qui ne disposent d’aucune alternative pour aller au travail. Elle n’est pas toujours un choix et elle est souvent une contrainte. Elle est un outil de travail pour certains. Elle est onéreuse dans le budget d’un foyer, parfois même inaccessible à l’achat. Elle crée de l’exclusion pour celui qui n’en dispose pas, notamment à la campagne. Elle est aussi le moyen d’une liberté précieuse pour qui ne souhaite pas rester enfermé dans les limites de son périmètre de vie. En ignorant cette réalité, la majorité affiche sa difficulté à comprendre tous les Français. Certes, la France est faite de startuppers, de traders, de clients d’Uber, d’usagers du métro ou du Vélib. Mais elle est faite de plus de 26 millions de Français qui se déplacent sur quatre roues chaque matin. Ces 26 millions de Français ne contestent pas les règles de sécurité : ils mettent leur ceinture, sont ravis de leurs airbags, s’arrêtent au feu rouge, savent que l’on ne peut raisonnablement boire et conduire.

C’est le sentiment que dans leur statut d’automobiliste, ils deviennent des citoyens au sang chaud qu’il faut mater par l’autorité et la répression. Et vous êtes nombreux à le savoir, mes chers collègues, y compris sur les bancs de la majorité. Alors, bien entendu, vous nuancez cette décision gouvernementale, au motif qu’elle ne concerne pas les routes équipées de séparateur central, ni les deux fois deux voies. La belle affaire ! Chez moi, en Ardèche, 99 % du réseau routier départemental est sans séparateur central. Et sur les 3 800 kilomètres de routes départementales, les deux fois deux voies représentent moins de 14 kilomètres. C’est donc tout le département qui est pénalisé.

Alors pourquoi une telle levée de boucliers contre une toute petite mesure, insignifiante, avouons-le ? Eh bien, parce qu’en Ardèche comme dans bien des départements ruraux, on attend autre chose, madame la ministre, on attend d’autres petites mesures insignifiantes. On a juste besoin de médecins dans nos villages, d’infirmières dans nos établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes – EHPAD – , de routes en bon état, d’écoles efficaces, de débit internet élevé et de téléphones qui fonctionnent. Et quand on attend une amélioration de la vie quotidienne, qui tarde à venir, et que l’on reçoit pour seule réponse une contrainte de plus, assortie d’une sanction si on ne la respecte pas, alors oui, c’est une France incomprise qui réagit vivement et qui rejette la mesure qu’on veut lui imposer. La décision est tombée comme une gifle que l’on n’attend pas, une sanction que l’on inflige à un gosse qui récidive dans ses bêtises.

Je dois reconnaître le talent gouvernemental pour sa communication : une dose de culpabilisation pour ceux qui s’opposent à la mesure, un Premier ministre qui consent à sacrifier sa popularité et une rhétorique assez habile pour faire de ce sujet un débat entre ceux qui seraient hautement responsables d’un côté et ceux qui seraient gravement irresponsables de l’autre.Mais le vrai courage n’aurait-il pas été d’ouvrir le débat ? De considérer l’ensemble des causes réelles des accidents de la route ? D’ouvrir des chantiers ambitieux et innovants pour faire baisser le nombre de morts sur nos routes ? Même en matière de sécurité routière, le Gouvernement semble trop pressé pour débattre et trop sûr de lui pour accepter la contradiction.

Le vrai courage aurait pu conduire à envisager un durcissement des sanctions pénales pour les délinquants de la route confirmés, ceux qui se rendent coupables de grands excès de vitesse et plus encore pour les récidivistes de la conduite en état d’ébriété. Le vrai courage serait de reconnaître que l’on ne peut éternellement raboter les crédits des départements ruraux qui n’ont plus les moyens d’améliorer la sécurité des routes de campagne ou de montagne.

Le vrai courage serait de lancer une politique de transports collectifs à destination des territoires qui en sont dépourvus et un grand plan national de mobilité, une mobilité sûre, accessible et respectueuse de l’environnement. Mais le Gouvernement a choisi une autre option. Il agit seul, a minima et sans débat, ni au Parlement, ni ailleurs, et s’il n’y avait pas eu notre collègue Descoeur pour organiser cette discussion, elle n’aurait pas eu lieu.

Comment ne pas imaginer que les producteurs de vins et spiritueux pourraient faire les frais de la prochaine mesure de sécurité routière – je ne vous souffle pas là une suggestion, madame la ministre, parce que je ne le souhaite évidemment pas ? Quelques études pourraient parfaitement démontrer que les Français ne sont pas assez disciplinés pour respecter la limite autorisée du taux d’alcool dans le sang, et qu’il faut leur imposer une tolérance zéro pour gagner quelques vies supplémentaires.

Alors oui, cette PPL est enfin l’occasion de dire les choses. Comment ne pas s’étonner que l’on puisse rouler à 50 kmh par heure en milieu urbain, à proximité de piétons, de poussettes, de vélos, de bus et de risque immenses, et que l’on ne puisse plus rouler à 90 kmh sur une ligne droite de campagne qui n’a jamais connu le moindre accident ? Ce constat nous commande d’adapter la limitation de la vitesse aux réalités du terrain. Les collectivités locales, en particulier les communes et les départements, sont en mesure d’apprécier le danger sur les routes et, en conséquence, d’y appliquer la limitation de vitesse pertinente.

Cette PPL ne fait qu’étendre aux départements ce qui existe déjà pour les communes. Elle confie aux présidents de conseils départementaux et aux préfets le soin de fixer la juste vitesse maximale au bon endroit. Elle ne contredit pas l’objectif de réduction du risque lié à la vitesse. Elle n’apportera pas moins de résultat qu’une application uniforme, telle que celle prévue par le Gouvernement et, enfin, elle permettra de justifier, au cas par cas, le choix des vitesses maximales retenues. Parce que cette PPL est frappée au coin du bon sens, nous la soutiendrons.

Pour conclure, j’aimerais appeler l’attention du Gouvernement sur une promesse qui avait été faite aux collectivités locales, madame la ministre. L’État a promis de prendre en charge l’intégralité des changements de panneaux induits par sa décision de réduire la vitesse autorisée. La dépense devrait être supérieure à 10 millions d’euros. Considérons, avec l’accord du rapporteur bien entendu, que si cette PPL était adoptée, les collectivités feront leur affaire de cette dépense et vous permettront, madame la ministre, d’économiser 10 millions d’euros. Vous tenez là un argument de poids pour changer d’avis et approuver les termes de cette PPL. »